• Comme tous les soirs, mes petits yeux noirs étaient rivés vers l’extérieur. Je scrutais les horizons dans l’attente de la créature qui me visitait chaque nuit. Ce soir, encore, le bel homme arriva devant le manoir, sur son magnifique cheval blanc. Ses cheveux bruns et bouclés retombaient un peu sur ses yeux de même couleur. Son pas était à la fois souple et sûr de lui. Je jouais avec une mèche sombre que j’avais isolée de ma chevelure volumineuse. Je dévalai les étages en me mordant les lèvres pour rejoindre l’invité, mon sang était bouillonnant d’impatience. Le serviteur avait déjà fait entrer le jeune garçon, lorsque j’arrivai à hauteur des escaliers. Je ralentis, afin de ne pas lui révéler mon envie pressante de le retrouver.
    - Encore vous ! lançai-je afin de lui signaler ma présence dans la pièce.
    - Belle Hélène, je souhaite encore et toujours venir vous voir, chaque soir s’il le faut, jusqu’à ce que vous m’acceptiez.
    - Allons, seigneur Luiso, vous savez qu’une femme de mon rang ne peut se donner ainsi !
    Il sourit à ma réponse. Je m’avançai vers lui avec délicatesse. Il me tendit alors une lettre. Geste inattendu, car d’habitude, il m’invitait en me tendant la main à marcher dans le jardin afin de parler des divers projets qu’il envisageait avec moi à ses côtés. Il s’inclina en me signalant qu’il reviendrait le lendemain dans l’attente d’une réponse. Dès qu’il eut disparu, j’ouvris fébrilement le document si précieux. La missive suggérait l’idée d’organiser un bal en mon honneur dans son château. Je savais très bien la manière dont cette fête se terminerait. Toutefois, cet homme l’ignorait, et cela m’amusait encore plus d’imaginer sa stupeur lorsqu’il découvrirait tout de la comtesse adorée à qui il se dévouait depuis plusieurs mois corps et âme.

    Le lendemain, le seigneur Luiso, fou de joie après avoir reçu mon approbation, se lança dans les préparatifs de cette fête. Il invita un grand nombre de personnes dans le seul but de leur faire admirer ma beauté. L’organisation prit plus d’un mois. De mon côté, je lui avais fait part de mon désir d’amener avec moi quatre amis qui m’étaient chers. J’avais envie de leur faire profiter de ce festin.

    Le soir du bal, nous nous rendîmes tous les cinq au château du seigneur. L’extérieur comme l’intérieur étaient richement décorés. Des nappes en soie recouvraient les miroirs à ma demande, dans le but de réserver la meilleure surprise à tous les invités pour la fin de la soirée. Plusieurs bougies étaient dispersées un peu partout de façon harmonieuse. L’air était imprégné d’une odeur de fleurs. Les invités étaient parés de leurs plus riches vêtements exclusifs pour ce genre de soirée. La musique qui coulait dans la cour centrale et s’évadait dans les couloirs du bâtiment était joyeuse et festive. Tout le monde riait, chantait à tue-tête, buvait, des comédiens et autres artistes étaient venus divertir le public, c’était la fête. Mes amis tentaient de se fondre tant bien que mal dans la masse, ce qui n’était pas très difficile, vu le nombre important d’invités présent pour cette soirée.

    Luiso mit un certain temps avant de me trouver dans la foule. Il était élégamment habillé avec ses habits de seigneur. Lorsqu’il s’approcha de moi, il s’inclina délicatement avant de me faire la cour.
    - Vous êtes tout en beauté ce soir, ma belle Hélène.
    - Pas plus que les autres jours.
    - Mais ce soir, vous avez mis cette si jolie robe rouge qui s’harmonise si bien avec vos lèvres. Je n’ai qu’une seule envie, c’est de croquer dedans.
    Son envie m’anima. Je le pris par le bras et nous nous éloignâmes rapidement dans le château. Nous marchâmes un moment avant d’entrer dans une salle de danse dont les murs étaient couverts de drap. J’étais un peu surprise qu’il soit allé jusqu’à avoir orné une salle aussi éloignée de la zone de fête, mais cela me donna l’envie de jouer encore plus longtemps avec cet être si faible. L’homme se retourna, désirant me dérober enfin un baiser que je ne rendis point. Je n’avais aucune envie de cela, j’espérais autre chose de lui. J’attendis un certain temps avant de faire enfin ce que je voulais depuis que je l’eusse rencontré. Une fois passée à l’acte, je sentis couler en moi quelque chose de chaud, d’agréable et de sucrer. C’était bon, malgré le fait que ma proie tente de se dégager de mes crocs. Finalement, je lâchais prise.
    - Êtes-vous folle, Hélène, de me mordre ainsi ?
    - C’est vous le fou. Vous invitez tant de monde afin de nourrir les loups affamés… Toutefois, je trouve cela gentil de votre part, car vous nous évitez de devoir pourchasser les mets rares et délicieux tels que vous, mon ami.
    Luiso me repoussa contre un mur, horrifié par ce que je venais de dire et arracha un drap. Il tomba à la renverse lorsqu’il comprit enfin qui j’étais. Aucun reflet n’apparaissait dans le miroir… Des cris retentirent dans la cour. Mes amis se nourrissaient enfin, ayant flairé le sang que j’avais fait couler.
    - Finalement, seigneur Luiso, vous avez pu m’offrir la fête dont je rêvais. Je peux me nourrir à ma guise dans ce bal.
    Je me suis approchée de lui. Il ne se débattait plus, acceptant le fait d’avoir été trompé par un vampire. Je l’ai vidé de son sang, cet homme qui m’avait pourtant offert un amour sans égal, un amour que je ne pouvais comprendre et que je ne pouvais accepter. Cette nuit-là restera à jamais gravée dans la mémoire des hommes comme étant le bal sanglant.


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